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Le K Bannon
30 mai 2016

La persuasion pour la liberté

Jusqu'à quel point les sentiments naturels et instinctifs seraient-ils justifiables dans l'hypothèse d'un déterminisme absolu?—Nous l'avons déjà fait voir, le remords n'est pas détruit entièrement par l'hypothèse du déterminisme, et les paradoxes de Spinoza, qui condamne ce sentiment, sont des exagérations même dans sa théorie fataliste. Le remords, en effet, est toujours utile pour nous faire prendre conscience du désordre où notre âme s'est trouvée: les maladies morales se distinguent des autres en ce qu'on les guérit d'autant mieux qu'on les connaît plus et qu'on en souffre davantage. En outre, quand on rétablit dans la question l'élément négligé par les fatalistes,—la persuasion de la liberté,—on obtient une combinaison d'idées plus voisine encore de la réalité même. Un homme a-t-il mal agi avec la persuasion qu'il aurait pu bien agir, il ne saurait trop déplorer un tel genre de maladie, qui offre toutes les apparences de la malice proprement dite ou du mal moral. Le déterminisme peut même aller plus loin encore. L'idée de la liberté tendant à réaliser son objet, et la persuasion engendrant la force, celui qui a fait le mal en se croyant libre de faire le bien avait réellement dans la main le premier anneau d'une série d'actes opposés à ceux qu'il a choisis: c'est là une raison de plus pour qu'il déplore son acte. Mais le déterminisme, arrivé à ce point, semble parvenu à l'extrême limite qu'il peut atteindre. Ses adversaires lui objecteront que celui qui a mal fait avait les moyens de bien faire, excepté un cependant, dont l'absence a tout fait manquer. Or, ajouteront-ils, ce moyen dépendait-il, oui ou non, de l'agent moral? S'il en dépendait, celui qui a mal fait avait tous les moyens de bien faire. S'il n'en dépendait pas, l'impossibilité de faire autrement était en soi complète, malgré la présence de toutes les autres conditions secondaires. Bien plus, cette impossibilité subsiste et subsistera tant que quelque heureux retour de la fortune n'aura pas rétabli la volonté égarée dans une direction meilleure. Peu importe, disaient les stoïciens, qu'un chien se noie au fond de l'eau ou près de la surface, s'il se noie; et ils en concluaient l'égalité de tous les vices. De même, que celui qui est dans le mal soit près du bien ou en soit loin, toujours est-il que, selon le déterminisme du mal, il ne pouvait pas faire le bien et n'est absolument pas responsable de sa faute. Sans doute il vaut mieux être près du bord et le savoir, car cette pensée même peut augmenter le courage et la force de celui qui se noie; mais si, en dernière analyse, son effort est impuissant en vertu de quelque condition qui ne dépende pas de lui, il n'y a point de responsabilité vraie, et le remords n'est plus que le regret de l'inévitable. Or, s'il est conforme à la «charité» socratique et évangélique de dégager le plus possible la responsabilité des autres, est-il conforme à la moralité personnelle de dégager sa propre responsabilité et d'admettre une doctrine qui semble, en définitive, nous déclarer innocents dans les actes où nous nous croyons coupables? Le déterminisme vient donc se heurter de nouveau contre le sentiment, vrai ou faux, de la responsabilité morale: il ne suffit pas, semble-t-il, que nous soyons responsables en aimant le bien, il faudrait aussi que nous fussions responsables en n'aimant pas assez le bien. Si le positif de l'amour vient de nous et si les obstacles à l'amour viennent du dehors, il faudrait pourtant que la mesure établie entre les deux fût en quelque façon notre œuvre, et que l'obstacle pût être plus ou moins reculé par nous.

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